nouvelle parution : Béatrice Jongy L’Invention de soi Rilke, Kafka, Pessoa Avec une préface de Robert Bréchon
Par Beatrice Jongy le mardi, septembre 13 2011, 17:38 - PUBLICATIONS - Lien permanent
Dans une Europe en crise, à la même période, au même âge, Rilke écrit Les Carnets de Malte Laurids Brigge, Kafka son Journal et Pessoa Le Livre de l’intranquillité. C’est un « je » personnage, plus ou moins fictif, qui tient son journal, qu’il s’appelle Malte, Soares ou simplement Franz. Pour qui habite mélancoliquement le monde, l’écriture de soi est bien plus qu’un instrument de connaissance, c’est une tentative de renaissance, d’autogenèse. Naître littérature, puisque la littérature est Tout… La fiction de soi mène ces grands découvreurs des espaces intérieurs à travers les limbes, où la mélancolie côtoie la mort et la folie. Leurs livres rendent les mouvements mêmes de l’âme et inventent un nouveau lyrisme. Inquiéteur du genre humain, l’Orphée moderne est animé d’une conscience à la fois tragique et ironique. Ivres de leurs métamorphoses, créateurs de mythes, Rilke, Kafka et Pessoa pressentent qu’ils seront des précurseurs. Car si le diable est l’inventeur de l’absurde, il est aussi, tel le poète, le porteur de lumière… Cette étude, pour la première fois, fait se croiser les feux de ces trois « phares inutiles dans l’Océan désert », selon le mot de Robert Bréchon, poète et éminent spécialiste de Pessoa dont il a édité les oeuvres. Lue à la lumière des deux autres, chacune des oeuvres jette des reflets inattendus, où miroitent les fondements même de l’écriture contemporaine de soi.
Contenu : L’écriture de soi dans le journal intime – L’Europe au tournant du XXe siècle – Le sujet moderne : crise de l’identité et du langage – Fiction de soi et autogenèse – Angoisse, folie et discours du corps – Les limbes, la mort – De la mélancolie à l’ironie : un nouvel Orphée – Le rôle de l’image et les figures du lyrisme – Écriture du Neutre et du fragment – La littérature de la modernité : iconoclasme et voie sacrée.
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Commentaires
Le diable, inventeur de l'absurde et porteur de lumière, une très belle antiphrase. J'aimerais pouvoir dire que la recherche de la connaissance est une absurdité sans nom, toutefois, en faisant ainsi, je m'inscrirai dans ce courant philosophique (car il n'est pas question que l'on ne mentionne ne serait-ce que la religion, qui pourrait pourtant se sentir concernée) qui laisse à penser que le diable et Lucifer sont un seul et même personnage. Et pourtant, il n'en est rien ; il ne peut rien en être. Le porteur de lumière, Lucifer en l'occurrence, n'est à ses commencements, qu'un séraphin de Dieu. Si Lucifer était le diable, qu'importe l'ouvrage auquel nous nous référerions, alors quel serait le nom de dieu ? Bien entendu, il n'en a pas, comme le diable, car ses deux entités sont indissociables, l'une ayant été créée pour compenser, pour faire office d'adversaire à l'autre. Eh ! pourquoi donc continuions-nous donc à vouloir mettre Lucifer dans la même ''gamelle'' ? Celle de toute cette pléthore de démons qui hantent nos imaginaires et parcourent notre littérature, et notre morale (puisque celle-ci à trouver bon dos d'utiliser des procédés rhétoriques, et de s'inscrire sur du papier, pour avoir foi de loi). Je parle de morale, oui, car si Lucifer est assimilé au diable, vu comme le dernier des démons, c'est quelque part qu'une certaine morale a décidé que la connaissance était mauvaise. Cependant, la littérature, en toute première position, ne devrait jamais oublier qu'elle ne s'est construite qu'à force de connaissances. Et si, tel Icare se brûlant les ailes en voulant approcher du soleil, l'homme et la femme, l'espèce humaine donc, venait par la suite à s'éteindre, à s'auto-détruire, ce ne serait pas à cause de ses connaissances (ce qui ferait de celles-ci quelque chose de mauvais, justifiant le caractère démoniaque de Lucifer), mais à cause de son manque de sagesse, et de sa gourmandise aussi.
Je finirai sur cette petite touche ironique, pour ce qu'elle vaut : si le Diable (en restant dans cette confusion avec Lucifer) était connaissance, et donc mauvais ; alors, Dieu, qui est supposé bon, serait la sagesse : l'obscurantiste sagesse visant à laisser les hommes dans l'ignorance. Dans tout ça, l'écriture de soi s'insère dans le monde des limbes, à mi-chemin entre la connaissance et ''l'obscure'', car l'on ne peut écrire, ''autobiographiquement'' parlant, que sur ce qui s'est déjà produit dans notre vie (à moins d'en inventer l'avenir, ce qui donnerait à l'oeuvre la tournure d'une fiction), en prenant un recul qui permet de se connaître soi-même plus en profondeur.
Je n'ai eu le temps d'étudier que la première partie du chapitre 1. C'est dense, et je n'ai eu d'autre choix que de l'interpréter à ma manière pour concrétiser les enjeux d'un tel travail.
Il est intéressant de voir qu'il confirme une idée que je développais dans mes jeunes synapses : le concept de l'interlocuteur perdu.
Cet interlocuteur qui manque à chacun, de nos jours, celui qui aurait pu être Dieu (angoisse métaphysique), notre famille (le fils prodigue ne trouvant pas l'interlocuteur qu'il lui faut dans sa famille, comme on le voit chez Lagarce), ou d'autres agents sociaux (ce monde qui nous semble étranger, voire irréel), cette "main amie où puiser le secours" qu'évoque même Rimbaud, on en a besoin justement pour se rattacher au monde, lutter contre la mort et la solitude.
Kafka et les autres sont donc des solitaires dépossédés de l'interlocuteur idéal, compréhensif et solidaire(d'où peut-être l'auto-genèse observée), ce qui est d'autant plus marqué par leur statut d'élite. Leur intelligence les pousse cependant à chercher cet interlocuteur et le font par l'intermédiaire de l'oeuvre, tant dans la contemplation que dans l'expression. C'est une bouteille qu'on jette au hasard dans l'océan, en somme. Ce que je trouve beau, est que vous avez trouvé cette bouteille. Vous êtes peut-être cet interlocuteur tellement espéré de ces auteurs, puisque vous leur avez certainement accordé un temps considérable pour rédiger cette étude.
Je suis moi-même à la poursuite de mon interlocuteur. C'est une angoisse quotidienne, mais ce genre de tourment a le mérite d'être créateur.
Merci pour ce commentaire Julien ! Ce qui est sûr, c'est que mes trois auteurs n'espéraient pas trouver un interlocuteur autour d'eux, parmi leurs contemporains. Ils se sont repliés sur eux-mêmes, ou plutôt sur la littérature, qui leur est comme un miroir. je crois qu'ils n'ont pas souhaité d'autre monde qu'elle; le monde ne les intéressait pas. Ils n'avaient de comptes à rendre qu'à la littérature.
Je vous souhaite de trouver votre interlocuteur, ou pas, si le vrai chemin de l'écriture consiste, comme je le crois, à n'en avoir aucun autre.
Mickaël, vous avez raison. La confusion de Lucifer et du Diable vise sans doute à diaboliser la connaissance. L'écriture de soi, ce ci dit, ne relève pas de la connaissance, ou il s'agit d'une connaissance intime. la connaissance du monde n'est pas utile à celui qui s'invente en littérature.